Japon – Hiroshima, un voyage au cœur de l’histoire
Hiroshima est tristement célèbre pour avoir été la première ville à subir les effets de l’arme nucléaire à la fin de la seconde guerre mondiale. Pourtant, malgré certaines cicatrices toujours présente, la ville d’aujourd’hui est devenue une ville moderne, tranquille et surtout un havre de paix pour ses habitants.
Un ciel sans nuage. Des ombres profondes contrastant avec les reflets du soleil sur les feuillages de mon jardin. Voilà ce que je contemplais, ce jour-là, tôt dans la matinée. Je suis allongé sur la terrasse du living-room, en pantalon et en maillot de corps ; j’ai veillé toute la nuit à l’hôpital.
Soudain, il y a un éclair, puis un autre, et je me souviens – on se souvient toujours des choses idiotes – que je me demande sur le moment si ce sont des éclairs de lampes à magnésium ou des étincelles provoquées par un trolleybus.
Ombres et reflets, tout a disparu. Il n’y a plus qu’un nuage de poussière au milieu duquel je n’aperçois qu’une colonne de bois qui supportait un angle de ma maison. Elle a pris une inclinaison bizarre et le toit de la maison a lui-même l’air de hoqueter. Instinctivement, je me mets à courir. Ou du moins j’essaie. Inutilement. Des poutres jonchent déjà le sol. J’ai grand-peine à atteindre le jardin. Et là, tout à coup, je me sens extraordinairement faible. Je dois m’arrêter pour reprendre des forces. C’est là que je m’aperçois que je suis complètement nu ! Où sont donc passés mon pantalon et mon maillot ? Qu’est-il arrivé ?*
C’est ainsi que commence le journal du Docteur Michihiko Hachiya, directeur d’un hôpital à Hiroshima. Le 6 août 1945 marque le début de l’horreur pour des milliers de personnes, qui étaient jusque-là préservés par les bombardements américains. Ayant survécu à la première bombe atomique de l’histoire, surnommé « pikadon » par les survivants, le Docteur Michihiko Hachiya décrit les évènements tels qu’il les a vécus, jour après jour, pendant environ deux mois dans son journal intitulé « Le journal d’Hiroshima ». L’errance des « hibakusha » – les rescapés, la recherche des proches, la nécessité de (sur)vivre après le bombardement, les effets encore inconnus de la radioactivité sur les malheureux survivants sont racontés tel un rapport d’autopsie, sans émotion et d’une grande froideur.
Après l’attaque, il ne resta rien de la ville d’Hiroshima. Seuls quelques bâtisses, des pans de murs et quelques arbres restèrent debout, dans un univers de ruines et de feu. L’onde de choc de Little Boy rasa tous les bâtiments jusqu’à deux kilomètres et la chaleur y fut telle que des milliers de personnes présentèrent des brûlures alors qu’elles se trouvaient à plus de quatre kilomètres du lieu d’impact. Des questions telles qu’« Était-ce nécessaire ? À qui la faute ? Pouvait-on l’éviter ? » alimentent encore aujourd’hui plusieurs débats.
Hiroshima, une ville pleine de ressources
Il est dur de croire qu’une ville, voir une nation ait pu se remettre d’un pareil cataclysme, même d’un second. De nos jours, la ville d’Hiroshima a réussi une métamorphose titanesque et est devenue une ville moderne avec tout le confort et les inconvénients qui les caractérisent. Hiroshima a réussi à renaître de ses centres. Seul un bâtiment, un vestige de la guerre permet de prendre conscience qu’il y a plus de soixante-dix ans, un cataclysme est survenu à Hiroshima: le tristement célèbre Dôme de Genbaku, aussi appelé le Dôme de la bombe atomique. Little Boy – qui explosa à plus de cinq cents mètres d’altitude -, souffla l’ancien palais d’exposition quasiment de la verticale, ce qui lui permis de rester relativement intacte. Il est aujourd’hui inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité – au détriment des États-Unis et de la Chine… Le Dôme de Genbaku est le symbole de l’horreur et de la folie humaine, mais aussi de l’espoir que cela ne se reproduira jamais. Espérons-le.
Notre première journée à Hiroshima se fait sans plan, sans organisation. Nous nous laissons flâner au gré du vent et des envies. Il fait beau, comme depuis le début de ce voyage au Japon. Une chance. Peut-être que les dieux Shintos étaient prévenus de notre présence. Et nous les remercions. Nous marchons le long de la Hondori Street, la rue couverte d’Hiroshima. Comme d’habitudes, toutes les étrangetés japonaises se retrouvent dans cette rue animée, tout autant que l’exubérance du consumérisme. Il est déjà temps de manger et ce n’est certainement pas les restaurants qui manquent par ici. Comme à Tokyo, le choix d’un restaurant se fait au hasard, en fonction de la devanture et des plats qui sont affichés dans la vitrine. Il est vrai que nous avons un peu de peine à choisir ce qui semble être un « bon » restaurant. Et les habitudes culinaires des Japonais nous échappent encore. Mais nous restons confiants, cela fait partie de l’aventure.
Une fois le repas – essentiellement composé de pâtes et de soupe – fini, nous quittons la longue Hondori Street et tombons directement sur la rivière Ota. Elle est notre seul repère dans Hiroshima pour le moment, notre confortable appartement se situant à quelques mètres de celle-ci. En face de nous se trouve un immense parc avec une verdure exubérante. Nous irons plus tard, sachant notre regard porter vers le Dôme de Genbaku, qui trône au milieu d’une petite forêt. Le Dôme de Genbaku tant vue dans les reportages, sur internet et dans les livres d’histoire ne laisse pas indifférent lorsque l’on se retrouve devant. Il est situé à quelques centaines de mètres seulement du tristement célèbre pont Aioi, repère du bombardier qui lâcha Little Boy sans pour autant atteindre sa cible.
Rencontre avec Mito Kosei
« Bonjour. De quel pays venez-vous ? », nous demande poliment une personne d’une soixantaine d’années, aux petites lunettes et portant un classeur dans sa main. « Vous êtes français ? Attendez, j’ai tout ce qu’il faut pour vous ». Nous restons un moment sans comprendre. Cet étrange personnage chercher quelque chose dans une caisse avec des dizaines d’autres classeurs, qui semblent former un arc-en-ciel. Il en ressort un rouge. « Voilà, c’est en français. Je m’appelle Mito Kosei et je suis un survivant d’Hiroshima. Ma mère était enceinte de moi à l’époque de la bombe. Prenez le temps de le lire, nous pouvons parler après ». Nous nous asseyons tranquillement sur un banc, avec le Dôme de Genbaku en arrière-plan.
La petite brise souffle tranquillement, les feuilles brunies par le soleil commencent à tomber par terre. Cette ambiance paisible s’efface rapidement aux premières images et textes contenus dans le classeur rouge. Particulièrement lors du récit de la mère de Mito Kosei, qui raconte l’évènement tragique avec douleur et souffrance. Le classeur rouge livre tous les secrets de la bombe, certaines pertinentes, d’autres plus proches de la théorie du complot. Néanmoins, après avoir lu pendant quelques dizaines de minutes, un certain malaise apparaît et nous préférons arrêter.
Mito Kosei nous rejoint et nos raconte une autre vérité, celle des hibakusha – les rescapés de la bombe. « Imaginez que vous aillez un document déclarant que vous êtes un hibakusha, un rescapé de la bombe. Le gouvernement japonais vous offre gratuitement tous les soins dont vous avez besoin. Mais, d’un autre côté, vous souffrez d’une telle discrimination de la part de la société et des autres japonais que cela en devient un enfer. Ils pensent que les maladies que vous avez sont contagieuses, ne veulent pas se marier avec vous, etc. Beaucoup d’hibakusha ont préféré cacher qu’ils étaient des survivants de la bombe atomique à leur entourage, les garder dans l’ignorance… Moi je suis un hibakusha et je le revendique, c’est pourquoi je viens tous les jours depuis une quinzaine d’années pour informer les étrangers et les Japonais sur la vérité du bombardement et ses conséquences ». Triste vérité en fin de compte.
L’Hiroshima Peace Memorial Museum
Il est agréable de marcher dans Hiroshima et malgré l’histoire de la ville, nous trouvons Hiroshima très accueillante et paisible, bien plus que la mégalopole qu’est Tokyo. Une ville où il fait bon vivre avec de nombreux espaces de loisirs et de verdures, des gens chaleureux. Hiroshima est une ville à taille humaine en fin de compte. Après avoir salué Mito Kosei, nous nous dirigeons vers l’immense parc aperçu plus tôt, où se trouve notamment le Hiroshima Peace Memorial Museum. Très vite, le malaise s’installe. Nous écoutons avec énervement, dégoût, malaise les histoires terribles des survivants, les détails ignobles et l’atrocité vécus par ses personnes. À la fin, nous n’en pouvons plus, nous devons sortir prendre l’air, tellement l’ambiance est devenue macabre. Nous avons le moral dans les chaussettes. Une courte visite, pas plus d’une heure suffit à nous faire prendre conscience de certaines réalités. La visite du Hiroshima Peace Memorial Museum est sans aucun doute l’expérience la plus troublante que nous ayons faite.
La journée s’achève sur une note plus légère et la douce mélodie de la brise dans les feuillages des arbres. Le soleil descend doucement à l’horizon. Nous profitons du début de la soirée pour faire du shopping. Hiroshima se revêt de ses plus belles lumières. Après un passage au Food Festival, il est temps de rentrer, la tête pleine d’histoires et d’humilité. Découvrir le passé de cette ville autrement que sur un écran est une expérience inoubliable et tellement enrichissante, même si elle n’est pas des plus plaisantes. L’Hiroshima d’aujourd’hui quant à elle nous a séduits, dans son art de vivre et dans sa faculté à renaître de ses cendres, sans pour autant oublier son tragique passé. Le soleil se couche sur Hiroshima. Demain sera une nouvelle journée. Mito Kosei quant à lui attendra patiemment devant le Dôme, prêt à raconter son histoire à qui voudra l’entendre.
*: Le journal du Docteur Michihiko Hachiya. Extrait du Science et Vie n°457 d’octobre 1955.
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